Un souvenir de Nulle-part

L’étang des cerises

Juste une mise aux poings

texte pensé à l’origine pour une publication sur ma chronologie Facebook

Ce lieu numérique-ci n’est pas celui où je me sens le plus à l’aise. J’aurai été un un utilisateur de twitter « avant que ce soit cool » et surtout « avant que ce soit X ». Je suis désormais un habitué du « fediverse », fédération libre de réseaux sociaux décentralisés. Si une raison à cela est une affinité, sinon ma préférence, pour le libre numérique et le code ouvert, une autre, peut-être la principale, est que cela me permet de cloisonner, de filtrer. D’un côté les personnes côtoyées physiquement depuis 1979 et de l’autre les liens construit au fur et à mesure d’échanges numériques, partage de points de vue. Je schématise, il y a toujours de la porosité, même faible.

Si le média numérique facilite ce cloisonnement (d’où l’émergence de bulles d’information), j’ai toujours procédé de cette manière. En témoigne ma lettre adressée à feu Monseigneur Thomas (pour accompagner ma demande de confirmation) dans laquelle je m’ouvrais sur la difficulté d’être, de mémoire : « perdu entre gauchos et cathos, punk et animation liturgique […], membre de cercles mutuellement exclusifs […] ». Ce qui s’exprimait et s’exprime encore à travers cela, les plus psychiatre auvergnat d’entre vous auront peut-être formulé cette conclusion in-petto, est une détestation viscérale des conflits, un malaise absolu et paralysant dans les situations de confrontation, une incapacité à comprendre l’expression véhémente d’un point de vue.

D’où le Benoît majoritairement en retrait que vous connaissez sans-doute, discret, silencieux en société mais soucieux de trouver des solutions, d’apporter son aide, de faciliter les choses. Plus rares sont celles et ceux qui ont assisté à mes libérations brutales de pression ; à savoir que j’ai fait vibrer par ma voix, de colère, la verrière Eiffel des ateliers de l’école Estienne, que la force avec laquelle j’ai claqué la porte en chêne d’une salle de réunion au septième étage du 75 quai d’Orsay a saturé la capacité d’absorption sonore des moquettes de la direction générale du groupe Air Liquide ou, enfin, que j’ai installé un hublot dans une porte de bureau du service informatique de l’hôpital de Perpignan pour « combler » le trou laissé par mon poing dans celle-ci, révélant ainsi la nature tantôt ondulatoire, tantôt corpusculaire de ma fureur. Impressionnant, marquant, inutile sinon pour décompresser et me permettre de retomber dans le lisse, le clapotis d’une mer d’huile. Éclats sans effet positif donc, et sans non plus que cela aie de retentissement fortement négatif. Eussè-je eu une autre carnation, une autre origine sociale, les conséquences auraient sans doute été autres.

Conscient de cela, cela fait longtemps, dans le contexte politique crépusculaire que nous connaissons, que je m’interroge sur ce que je dois faire, sur ce que je peux faire, sur la manière d’exprimer mon désaccord, de le vocaliser, de le partager, sur la nécessité de sortir de cette fausse « neutralité » qui m’est pourtant chevillée au corps par éducation autant que par instinct. J’en suis arrivé à la conclusion qu’en juin 2024, me taire, ne pas mettre les points sur les i ni les barres aux t, est une faute morale, un reniement de ce en quoi je crois, un abandon de mes proches, de mes amis et amies. Laisser croire que je pourrais être d’accord avec des idées abjectes, égoïstes, haineuses, serait les insulter.

Aussi, sachez que je me réjouis de la construction d’un front populaire, aussi imparfait qu’il soit, en regrettant que le sursaut n’ai pas été plus précoce et sans la naïveté de croire que les égos et esprits d’appareil se tairont longtemps.

Sachez également que tout bulletin rassemblement national et affilié ou affidé, glissé dans une urne, est un crachat à la figure de mes filles, de mes amis et amies.

Sachez que j’ai l’estomac noué et retourné de savoir que là où j’habite je vais croiser tous les jours des gens qui en veulent à l’existence même et à l’avenir de mes filles, de mes amies et amis.

Sachez que si vous imaginez que nous avons des points-de-vue communs et que vous votez pour des valeurs de rejet, de haine, d’exclusion et de repli sur soi, vous faites erreur.

Sachez que si vous pensez que pour s’opposer au n’importe quoi de l’ère Macron il vaut mieux voter encore plus à droite de l’échiquier — ce qui est complexe vu l’équilibrage du gouvernement et président français actuels — qu’à sa gauche, je vais commencer à m’interroger sur vos capacités cognitives.

Sachez que, si vous songez à des excuses de « vote de protestation », de « on n’a jamais essayé », de « au pire il y aura des contre-pouvoirs », je penserai que vous vous mentez à vous-même ou que votre égoïsme va jusqu’au mensonge pour tenter de garder un vernis de respectabilité.

Sachez que si vous assumez ce vote nous n’aurons plus rien à nous dire.

Sachez que je ne vous accorderai pas le bénéfice du doute, l’urgence de l’instant ne lui laisse aucune place.