Deuxième article de ma série introspective sur le TDAH dans lequel il est question de super-pouvoir et de directivité.
Passage à table
Peut-être à la fois le plus anecdotique mais signifiant des traits qui m’ont fait cocher un numéro de plus dans le bingo diagnostic est ma capacité à suivre toutes les conversations d’un lieu dans lequel je me trouve. Enfant, lors des sorties familiales au restaurant, je captais et suivais sans peine les discussions des autres tablées, les échanges du personnel (sans compter les flux continu de la radio). Adolescent j’en faisais un jeu, amusé de mon super-pouvoir, en partageant avec mes proches ce que j’avais entendu.
Cette capacité ne se révélait pas uniquement dans des lieux de convivialité. C’est également la raison pour laquelle mon institutrice de Cours préparatoire (CP) n’arrivait pas à me prendre en défaut en m’interrogeant sur ce qu’elle venait de dire lorsque, persuadé de ne pas être vu, je lisais un livre dissimulé dans le casier fixé sous le bureau.
C’est aussi ce qui me permet de rebondir sur des propos échangés dans une autre pièces ou un à un autre étage. Cela peut autant susciter l’amusement de mes proches que provoquer l’agacement des gens qui ne me connaissent pas ou peu. Le fait d’intervenir, même à propos — surtout à propos en fait — dans une discussion tenue à une distance sensée la rendre inaudible pour moi m’a valu quelques inimités entre les murs d’Estienne. Je commence seulement à comprendre pourquoi.
Les toiles polaires
Quand on veut caractériser un microphone, en plus de sa sensibilité et de sa courbe de réponse aux fréquences, on établit sa directivité. C’est à dire la zone de captation pour laquelle l’appareil a été conçu. Celle-ci est représentée par un diagramme polaire ayant pour centre la capsule. Schématiquement, on considère trois directivité : omni (sensible de la même manière à tous les sons sur 360 degrés), bi ou en 8 (sensibilité dans une direction) et enfin cardioide (plus grande sensibilité dans un sens et sur les côtés). Si vous souhaitez expérimenter mon univers sonore, placez un micro omnidirectionnel dans un restaurant ou un café, enregistrez quelques minutes d’un service et réécoutez-les avec un casque.
C’est bien entendu caricatural et mes oreilles ne sont sont similaires dans leur conception des vôtres. Ce qui diffère n’est pas tant la captation du signal que le (non) traitement de celui-ci par le cerveau.
Le tout se fait naturellement, sans avoir à se concentrer
Pour simplifier et sans aller plus avant de peur de plonger dans un rabbit hole, j’ai lu^réf nécessaire 😜^ qu’en matière de perception, chez les personnes disposant du sens de la vue, ce dernier a toujours son mot à dire quelque soit le sens mobilisé. Dans une discussion, l’acuité auditive est ainsi orientée par le regard qui sert de référence au cerveau pour discriminer les sources sonores et les filtrer. Le tout se fait naturellement, sans avoir à se concentrer dans la plupart des situations courantes. Cela explique également pourquoi, lorsque plongé dans une lecture, une série ou un film, vous pouvez ne plus percevoir les bruits alentour ou les paroles qui vous sont adressées.
Loto focus
Ce mécanisme de filtre automatique ne m’est pas accessible sans assistance. Je dois consciemment choisir ce à quoi je prête attention, quelle discussion suivre, quelle information prioriser dans tout ce que je perçois en continu.
une table de mixage dont aucune tranche […] ne peut-être rendue muette
Ce n’est toutefois pas comparable à une action effectuée sur un sélecteur d’entrée d’amplificateur audio. Je ne bascule pas sur une source en atténuant les autres. Une bonne métaphore, pour rester dans le domaine du son — atavisme familial, serait celle d’une table de mixage dont aucune tranche (les entrées) ne peut être rendue muette ; pour rendre le mix (mélange) de sortie utilisable il est alors nécessaire d’ajuster en permanence les paramètres de chacune par rapport aux autres. Cela demande de l’énergie, beaucoup d’énergie, pour maintenir l’écoute sur la bonne piste.
Multimédia
Je ne saurais encore expliquer pourquoi mais une stratégie bancale que j’ai mise en place très tôt[1] s’appuie sur la saturation. Aussi, pour réaliser mes devoirs scolaires à la maison, une radio et la télévision allumées étaient mes plus efficaces auxiliaires. Cependant, pour des raisons évidente de logique parentale et éducative ce cadre était assez rare. De plus en plus rare, de fait, avec une mère travaillant à domicile tandis que j’étais collégien puis lycéen. Je m’étendrai sans doute plus tard sur cette scolarité secondaire dans un billet dédié ; spoiler alert: souvenirs pour le moins mitigés.
Plus tard, jeune cadre costumé du groupe Air Liquide, pour essayer de résister à l’enfer (pour moi) des réunions de travail, griffonner dans mon carnet de notes (des schémas, des mots extraits de paroles prononcées) est devenu un réflexe. Habitude conservée depuis. Là également, la perception extérieure de cette non prise de notes est généralement négative. Au mieux cela renvoie à une image d’artiste ou de rêveur, au pire de feignant, négligent, non professionnel.
Quoi qu’il en soit, cette technique a deux inconvénients majeurs. Le premier est la question du manque de professionnalisme perçu qui s’installe peu à peu en soi. Le second c’est qu’elle puise aussi la réserve d’énergie sociale disponible. Les interactions deviennent redoutées. La disponibilité pour les proches, la famille, se retrouve amoindrie, d’autant plus en fin de journée, en week-end ou pendant les vacances. Irritabilité, réactions épidermiques et envie de repli sur soi prennent alors le pas.
Dans mon cas, mais c’est classique, cela se faisait sans que je m’en rende compte. Les remarques, même douces, me faisant remarquer que je réagissais vivement à chaque parole ou sollicitation, que je méprenais les questions pour des ordres, ne faisaient que me rendre encore plus inflammable.
Extincteur chimique
Si vous avez tenu la lecture jusqu’à ce chapitre, vous aurez noté l’emploi de l’imparfait. Je peux en effet mesurer (et accepter) ma faible disponibilité psychologique passée en constatant l’énorme diminution de mon stress et de ma fatigue sociale depuis que j’ai commencé la prise de méthylephénidate à libération prolongée.
À ce jour, c’est pour moi le principal bénéfice de l’accompagnement pharmaceutique : (Re)trouver une meilleure capacité d’écoute et d’échange avec mes proches, ne plus redouter – et ce des heures, voir, des jours à l’avance — les rencontres avec des tiers, ne plus terminer mes journées dans l’appréhension de celle à venir ni la colère de celles passées ! Je revis.